Du début
jusqu'au
présent
Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu un intérêt particulier pour le goût et la nourriture. Petit, je goûte déjà tout avec envie, les saveurs que les enfants de mon âge détestent généralement : je me délecte de poivrons marinés à l’ail et à l’huile d’olive, j’apprécie l’amertume des endives, je raffole des épinards à la crème et du poisson.
Un dimanche d’automne, je me promène en famille au Parc de Saint-Cloud. Nous marchons dans les sous-bois, des odeurs de terre mouillée et de mousse envahissent mes narines. Mon père m’interroge :
« Tu ne sens rien ? » « Ah si ! Des champignons ! » Mené par mon nez, je me dirige vers un bouquet de champignons, bien cachés derrière le pied d’un arbre à une dizaine de mètres de distance.
Avec une mère vietnamienne et un père français, j'ai eu la chance d'habiter dans leurs deux pays et d’y assimiler deux cultures culinaires, complètement différentes mais qui présentent cependant
des similarités.
Je découvre deux gammes de saveurs. Je passe de l’une à l’autre sans effort, apprécie autant le piquant du piment que l’odeur d’un fromage bien fait. Ma double culture éveille et construit ma curiosité pour le culinaire. J’étais gourmand, je deviens gourmet.
Ma mère dans l’ancienne cuisine familiale, a Hoi An
À six ans et demi j'apprends enfin la nature de mes problèmes médicaux. Je pars à Marseille pour une grosse opération cardiaque le 3 décembre 2007. Les complications s'enchaînent, je fais de nombreux aller-retours entre les hôpitaux de Marseille et de Montpellier. Le 25 janvier 2008 je me souviens de m'être réveillé dans mon lit d'hôpital avec des cadeaux, dont un duo de peluches en forme de hérisson. C’était l’anniversaire de mes huit ans.
Après la première opération, je n'arrivais plus à manger. Le strict régime sans matière grasse ordonné par les médecins n'était pas suivi par la cantine centrale. Un jour, sur mon plateau-repas, une viande était accompagnée de haricots verts baignant dans une mare d'huile. Ce jour-là, mon père, qui vivait avec moi dans la chambre d'hôpital, alla acheter un rice-cooker au marché asiatique. Il se mit à cuisiner mes repas tous les jours, sans aucune matière grasse.
Pour moi, j’avais dans ma chambre le meilleur chef du monde. Je repris goût à la nourriture et remangeais à ma faim.
Je me souviens encore des bouillons de champignons, des blancs de poulet effilés sur du riz, du meilleur bœuf que je n’ai jamais mangé bien qu’il soit bouilli. Ou encore de l'infection des couloirs par l’odeur de réduction d’une bouteille de vinaigre balsamique, rapidement suivie par des infirmières pour annoncer que "M. Marchand, vous exagérez quand même !'' Mais elles étaient bien contentes de goûter à la nage de Saint-Jacques réalisée par mon chef privé.
Cela dura jusqu'en septembre 2009, avec de multiples entrées et sorties d’hôpitaux pour de nouvelles opérations successives.
En décembre 2009 mon père prit la décision de partir habiter au Vietnam et de nous rapprocher de notre mère (parents divorcés). Ce fut un grand changement pour mon grand frère et pour moi-même.
Je rentrais en CE1 à la maison, avec les cours du CNED. Quelques mois plus tard nous avons fait venir un professeur de France, Amélie, qui nous fit les cours pendant huit ans, jusqu'au brevet.
Je me suis vraiment passionné de cuisine vers neuf ans, quand j'ai eu la chance de pouvoir intégrer les cuisines du Victoria Resort & Spa et d’y découvrir la vie dans les cuisines.
Chaque week-end, je passe même en salle pour y préparer les œufs aux plats et omelettes du brunch. Je suis la mascotte du dimanche matin !
En juillet 2011 mon père ouvre son restaurant, le Bamboo Buddha, à Hoi An. J’adore, c’est pour moi le meilleur resto de la ville ! Du foie gras aux huîtres en gelée, du magret de canard à la bavette d’aloyau.
Mais tout n'est pas blanc, le restaurant engouffre mon père dans le travail et je le vois beaucoup moins. Je suis souvent seul à la maison. Le soir j’ai peur, je n’ose pas monter dans ma chambre et reste dans le couloir du rez-de-chaussée, dans le noir.
Mais je suis quand même positif. Après l’horrible cantine de l’école je sors en vélo et m'occupe de mes chiens Van et Beethoven, je mange vietnamien dans les gargotes de rue ou cuisine mes dîners à la maison.
Vers 13 ans mon corps change, je grossis. Je fais ma crise d’ado, m’éloigne du culinaire, tombe dans les jeux vidéo et la dépression. Mon goût s’émousse, je ne cuisine plus. J’apprécie toujours de bien manger, mais je ne veux plus m’impliquer. Est-ce de voir mon père manager un restaurant ? Son absence ? Cela durera plusieurs années, jusqu'à la Seconde, quand nous rentrons à Nantes, en cours d'année scolaire.
Je retrouve les saveurs délicates de la France, les produits de la mer. Je me souviens de ma première araignée de mer, de mes premières langoustines. Mais rien n’égale le goût délicieusement sucré des moussettes.
Nous re-déménageons de Nantes à Sèvres pour ma Première et ma Terminale, où je passe mon baccalauréat en spécialité Biotechnologie qui correspond à mon envie d’apprentissage concret. J’avais proposé pour mon Projet Technologique de travailler sur la maturation du caviar d’élevage français, ce qui a été malheureusement refusé par les profs.
Retour au Vietnam après le Bac. Je retrouve avec joie la cuisine locale de rue, les Phở, les Mì Quảng, les Bánh Xèo, les herbes fraîches tombées sur les plats chauds, ou encore le porc et les mille façons de le cuisiner qui m'ont tellement manquées... Je passe mon permis de conduire motos et ma mère m'offre ma toute première moto.
Je pars souvent en moto, avec mon père, pour un ''road trip culinaire'' ou nous découvrons de nouvelles saveurs et cultures. Je me souviens d'un poivre sauvage des forêts au puissant goût fumé, d'un poulet au piment incroyablement fort dans un village de minorités, ou encore du goûtfruité des fèves fraîches de cacao.
Je me lance aussi dans les vidéos culinaires. J’apprends le montage film et réalise un reportage sur le Victoria Resort & Spa.
Le début des affaires, je me fais mes premiers billets en créant une marque de sangria : La Ultima Sangria. Je la vends aux particuliers et à quelques resorts, et en événementiel à la plage. Gros hit ! À chaque événement je suis sold-out en quelques heures !
Puis le Covid finie par rattraper le Vietnam et tout s’arrête.
Nous sommes en lockdown, le gouvernement nous distribue des tickets pour trois entrées hebdomadaires au marché. Les vaccins arrivent en retard et seulement dans les grandes villes, où les citoyens meurent de faim dans leurs appartements.
La reprise fut dure, j'ai trouvé du travail dans un restaurant Vietnamien en salle pour touristes appelé Pho Thu. Au bout de deux mois je deviens manager mais quitte au 3e mois car je n'apprends plus rien.
Printemps 2022, de nouveau la France, seul cette fois-ci. Je commence à travailler, apprends les bases comme commis de cuisine au 16 Carnot, un bon restaurant de Poitiers. C’est dur physiquement, le split shift en cuisine est épuisant, je dors mal, nous sommes à deux dans un studio de 20m2. Je finis aux urgences au milieu de la nuit après m'être coupé le doigt. Je prends conscience que je dois apprendre autrement.
Je me renseigne sur les écoles de cuisine, entends parler de l’Institut Paul Bocuse à Lyon. Je m’y rends un week-end pour une journée porte ouverte. Je suis émerveillé par les lieux, les professeurs, les étudiants. Cet institut est fantastique !
Je rentre à Poitiers avec une obsession : je veux absolument étudier à l’Institut Paul Bocuse de Lyon, dès la rentrée d’avril prochain.
À suivre.